La drôle de «salade transitoire» du Parti socialiste

Le Parti socialiste survivra-t-il à cette année 2022? Pas facile à dire aujourd’hui. Mais après avoir connu 1) le fiasco de Benoît Hamon en 2017 (6,36% à la présidentielle… et puis s’en va ailleurs fonder son parti concurrent) 2) le mauvais aiguillage des européennes 2019 avec une tête de liste, Raphaël Glucksmann, venue d’ailleurs, (6,31%) 3) une élue locale -de Paris, il est vrai- persuadée d’avoir la taille présidentielle en 2022 (1,75%), le Parti socialiste semble bien capable, sous la houlette éclairée d’Olivier Faure, de finir de se saborder avant l’été, en se fondant pour les législatives dans une liste de gauche emmenée par Jean-Luc Mélenchon.

Le dernier à s’en rendre compte n’est pas son prédécesseur, Jean-Christophe Cambadélis, qui l’accuse de conduire leur parti à une véritable reddition sous le joug de Jean-Louis Mélenchon et sa France Insoumise. Un avis largement partagé par l’ancien président François Hollande qui ne mâche pas non plus ses mots et estime que cet accord, voulu par la direction actuelle du PS «ne se fera pas».

Alors, bien sûr pour relativiser ces critiques venues du sérail, on doit quand même rappeler que Jean-Christophe Cambadélis premier secrétaire du parti de 2014 à 2017 fut incapable de maintenir la cohésion du parti, et ne parvint pas à empêcher les “frondeurs” de saborder le quinquennat de François Hollande. Rappeler aussi que François Hollande qui s’indigne aujourd’hui de la décomposition du mouvement dont il fut lui aussi premier secrétaire pendant 10 ans, jusqu’en 2008, avant d’emporter la présidentielle de 2012, a conduit son parti dans un état tel -alors même que les socialistes détenaient alors tous les pouvoirs, présidence de la République, majorité à l’Assemblée nationale et au sénat, Mairie des grandes agglomérations- qu’il n’osa même pas se présenter à sa propre succession en 2017. Olivier Faure aurait beau jeu de leur rétorquer que le parti dont il a hérité en 2017 était déjà bien moribond.

Mais tout de même, on peut s’étonner de l’empressement de celui-ci à répondre favorablement aux injonctions de la France Insoumise, et de sa précipitation à négocier quelques strapontins sur une liste de campagne législative dont l’affiche, déjà imprimée, annonce: “Jean-Luc Mélenchon premier ministre”! Le patron de la France Insoumise n’a pas fait dans la délicatesse. En annonçant qu’une liste d’union ne pourrait se faire que sur la base de son programme, dans les proportions des résultats de la présidentielle -c’est à dire du 1 contre 10 pour le Parti socialiste- et uniquement sous son appellation “Union Populaire”, il a invité ses éventuels partenaires à venir à Canossa. Frustré d’avoir une troisième fois échoué au premier tour de la présidentielle, il a voulu manifestement humilier ceux qui par leur présence à gauche l’ont empêché de vaincre: socialistes, communistes et écologistes.

Notons d’abord que ce calcul pourrait s’avérer contreproductif. Même si les responsables politiques des partis en question acceptent in fine l’humiliation pour sauver ce qui peut l’être de leur grandeur passée, leurs électeurs risquent en revanche de le prendre différemment, et de ne pas suivre les consignes de votes le doigt sur la couture du pantalon, s’ils les jugent humiliantes ou contraires à leurs convictions. Et au delà de l’humiliation elle-même, ou du faible rapport en siège que propose la France Insoumise à ses éventuels alliés – «37 sièges, même pas de quoi avoir un financement public» gronde Cambadélis- il y a évidemment quelques problèmes de fond, de convictions.

Primo, l’Europe. Les Insoumis ont inventé un concept: la désobéissance européenne. En gros on ne respecte que les accords européens qui conviennent à Mélenchon, et on renégocie les autres. Comment? Il “suffira” dans ce cas de convaincre les 26 autres membres de revenir eux-aussi sur leur signature. On peut déjà deviner l’issue du processus: une mise en retrait de l’Union européenne. Idem pour l’Otan, l’obsession anti-américaine de Mélenchon conduirait inévitablement, dans le cas où LFI serait aux commandes, à une sortie de l’Otan au profit d’un rapprochement avec la Russie de Poutine, auquel on aurait entre temps abandonné l’Ukraine à qui l’on retirerait les moyens de se défendre, voire la Moldavie.

Deuxio, les institutions. La France Insoumise nous annonce l’avènement de la VIème République avec son Référendum d’initiative citoyenne, nous explique par la voix d’Alexis Corbières que le choix du Premier ministre par le président élu au suffrage universel, comme le prévoit la constitution, est le “fait du prince”. Quant à Clémentine Autain, députée LFI, elles nous annonce que si on ne parvient pas à prendre le pouvoir dans les urnes aux législatives, comme prévu, « on ira le chercher dans la rue! » On est là bien loin du programme d’Anne Hidalgo.

Ajoutons les promesses économiques de la France Insoumise, et leur coût exorbitant selon les estimations financières de l’Institut Montaigne (plus de 200 milliards d’euros), le retour à la retraite à 60 ans à rebours des politiques menées par tous les pays développés, l’annonce de l’annulation d’une partie de la dette… Qu’importent toutes ces divergences entre les programmes des deux partis… la direction du Parti socialiste amenée par Olivier Faure semble prête à tout pour parvenir à un accord. Jusqu’à la précipitation! Ce vendredi la direction du PS a réussi en 3 heures de temps à annoncer un accord avec les Insoumis puis à infirmer cet accord, en précisant que les négociations n’étaient pas terminées… Avant de préciser dans la foulée que les négociations étaient suspendues faute de garanties sur l’absence de visées hégémoniques de la France Insoumise.

Il faut dire que Olivier Faure peine à faire le consensus autour de lui. Les “éléphants”, comme on appelle les poids lourds du PS, sont vent debout, ou mutiques. Carole Delga la puissante patronne de la région Occitanie a présenté ses candidats PS dans le Tarn, sans attendre un accord national, et en citant Pierre Mendes-France: « La morale en politique interdit que stratégie et convictions divergent, fut ce pour des motifs d’opportunité transitoire »… Avant d’y ajouter une sentence de son cru: « J’ai vendu des salades au marché pour payer mes études… à mes concitoyens je ne vends pas de salades »

Une victoire malgré tout, mais pour quoi faire?

En quelques heures l’analyse dominante s’est imposée sur tous les plateaux télé: Emmanuel Macron vient de connaître un nouvel échec cuisant! Après avoir été élu “par effraction” en 2017, l’homme incontestablement “le plus détesté” des Français, champion de “l’arrogance et du mépris”, a réussi à devenir le président “le plus mal élu de la 5ème République”! Bref, pas de quoi pavoiser! A l’inverse, Marine Le Pen est en pleine progression, avec près de 42% à son 3ème échec, ce qui constitue un défaite sans appel… pour le président sortant. Sans parler de Jean-Luc Mélenchon, enfin parvenu au centre de l’échiquier politique, à la faveur de sa troisième défaite à la présidentielle, à cause de la politique menée par… Emmanuel Macron.

Il y a évidemment beaucoup à dire sur le premier quinquennat d’Emmanuel Macron. Sur sa façon de s’égarer parfois, à l’issue de raisonnements pas toujours accessibles au commun, à prendre quelques mesures extrêmement impopulaires, et dont l’utilité ne paraissait pas flagrante. Sur son incapacité -certes partagée avec d’autres- à associer les corps intermédiaires à son exercice du pouvoir. Sa réticence à la négociation. Sur son recul devant l’indispensable modification du mode de scrutin législatif, qui aurait été possible, pour autant qu’il renonce à en faire une réforme constitutionnelle. Sur d’autres points encore… la critique étant facile à l’issue de l’exercice. Mais tout de même! Nous sommes sans doute le seul pays du monde où une victoire à l’élection présidentielle puisse être unanimement, ou presque, traitée comme une défaite. La seule démocratie, où l’on remette en question la légitimité du suffrage universel, dans la seconde qui suit le vote du peuple souverain. Avant même la communication du résultat, certains commentateurs prévenaient déjà qu’en raison de l’abstention le président élu aurait un déficit de légitimité!

Clarifions les choses. Douze candidats étaient présents au premier tour de l’élection présidentielle. Personne n’a été empêché de voter. C’est donc bien le peuple qui a choisi! Qu’il ait choisi de voter ou de s’abstenir, c’est son choix. Qu’il ait choisi de voter à 42% au second tour pour l’extrême-droite est regrettable, mais c’est la démocratie. Qu’une partie des électeurs aient voté “par défaut” est certain, mais c’est leur choix. C’est le principe même du scrutin à deux tours. Au premier tour on choisit celui dont on se sent le plus proche, au second on élimine celui qu’on craint le plus. Tout cela ne change rien à la légitimité de celui qui est choisi par le suffrage universel. Et l’on peut encore moins invoquer l’inconsistance ou l’impréparation de tel ou telle candidat ou candidate du premier tour, pour contester le choix des électeurs.

Certes Macron n’est élu qu’avec 38,5 % des inscrits au second tour contre 43,6 % en 2017. Mais Hollande ou Sarkozy avaient fait à peine mieux (39,1% pour le premier 42,17% pour le second). Quand à son score de premier tour, il était de 20% des inscrits en 2022, contre 22,3 pour Hollande en 2012 mais seulement 13,75% pour Chirac au premier tour de 2002. Donc ce n’est certes pas brillant, mais ce n’est pas non plus un déni de démocratie, comme certains mauvais perdants essayent de nous en convaincre. Il reste in fine un président réélu aussi légitime que l’est le suffrage universel. Celui que les Français ont choisi, comme les autres avant lui.

Et l’on aurait beau jeu de rappeler aux mauvais perdants du jour qui se sont empressés de dénoncer le manque de légitimité du nouveau président que Jean-Luc Mélenchon a été élu député à Marseille par 20% des inscrits au second tour après avoir rassemblé au premier tour 14% des électeurs… ou que Marine Le Pen, a obtenu au second tour à Hénin Beaumont 29% des inscrits. Ils sont tout aussi députés que Macron est président.

Alors bien sûr, Emmanuel Macron ne pourra pas compter sur une seule minute d’état de grâce. Ses nombreux opposants vont tenter de le déstabiliser dès le première minute de son nouveau quinquennat afin d’emporter ce qu’ils qualifient de “3eme tour”, et qui est tout simplement une autre élection. “Elisez-moi premier ministre” clame celui qui est toujours persuadé de son destin national, malgré les échecs successifs.

Les élections législatives seront effectivement décisives. Parce que, si les oppositions l’emportent elles pourraient imposer la cohabitation dont elles rêvent, et défaire ainsi le résultat de la présidentielle. A condition que l’un des blocs d’opposition, France Insoumise ou Front National, l’emporte largement sur la majorité présidentielle, et sur son rival. Ce n’est pas impossible, mais sans doute pas le plus probable. De façon plus conforme à l’habitude, le mode de scrutin législatif pourrait simplement conduire à une reconduction d’un bloc largement majoritaire soutenant le président, avec le risque de retrouver l’Emmanuel Macron du quinquennat précédent, gouvernant à son envi, avec l’appui d’une majorité absolue au parlement acquise à sa cause.

Si c’était le cas, comme le suggèrent les premiers sondages sur les législatives, les mêmes causes pourraient produire les mêmes effets. Le sentiment de déconnexion entre le pouvoir et la vie réelle, qui a mené à des manifestations sans précédents ces dernières années, et à un vote protestataire massif, avec une très forte progression des extrêmes, pourraient s’aggraver encore et conduire à cette prise de pouvoir de l’Extrême-droite que l’on a finalement évité les 10 et 24 avril. Il faut refonder, revivifier, notre vie démocratique. Cela suppose pour le Président de ne pas se satisfaire de sa propre capacité à réformer, mais bien de rechercher les voies pour recréer du consensus dans la société. Sans un minimum de consentement public, les réformes les plus audacieuses ou les plus utiles resteront lettres mortes. Cela passe par la remise en majesté de la négociation qui est au fondement de notre consensus social. Avec les corps intermédiaires, mais aussi les adversaires politiques du moment, ou d’hier. Certes pour négocier, il faut être au moins deux, mais il appartient à celui qui détient le pouvoir de créer les conditions de la négociation.

La première de ces conditions sera sans doute le changement de mode de scrutin. Il faut introduire, avec les amendements nécessaires, la proportionnelle aux élections législatives. Pour que la représentation des courants politiques à l’Assemblée Nationale reflète leur poids dans la société. C’est une condition pour que le sentiment de spoliation régresse. Dans son discours du 24 avril Emmanuel Macron a promis de gouverner différemment, « l’invention collective d’une méthode refondée pour cinq années de mieux ». L’intention est louable, elle montre qu’il a pris conscience du fait que la simple prolongation de son mandat précédent conduirait à une impasse. Il reste à donner du contenu aux mots. Et cela commence maintenant.

Qu’a-t-il manqué à Mélenchon ?

C’est ce qu’on peut appeler une sortie en beauté. A 71 ans, à sa troisième tentative, Jean-Luc Mélenchon termine sa très longue carrière politique sur un résultat inespéré. 22% des voix. A quelques centaines de milliers de voix près, il aurait été au second tour, face à Emmanuel Macron. Prêt à ce duel dont il avait rêvé. On y a même cru pendant quelques heures dimanche soir, à la France Insoumise, lorsque les estimations semblaient se resserrer. Les instituts de sondages avaient vu sa progression mais pas mesuré son ampleur.

C’est incontestablement à lui-même qu’il doit d’abord ce bon résultat. Tribun brillant, homme de culture, Jean-Luc Mélenchon a su exploiter au mieux l’effondrement du reste de la gauche. La petite musique du vote utile a fait son effet. Alors qu’Anne Hidalgo s’enfonçait un peu plus à chacune de ses prestations, que Yannick Jadot paraissait totalement prisonnier du carcan de son entourage, peu à peu le leader de la France Insoumise est apparu comme le seul vote de gauche susceptible de faire échec à l’extrême-droite. Le programme était là, avec ses excès, son petit côté désuet -la planification plus les sovkhozes… écologistes- son anti-américanisme -quitter l’Otan pour faire alliance avec la Russie- sa détestation affichée des riches -“ils auraient tort de s’enfuir car je les rattraperai”… Il avait bénéficié du soutien de l’ange tutélaire de la pensée de gauche, Christiane Taubira, mais aussi de la plus versatile des personnalités socialistes, Ségolène Royal, ceci compensant peut-être cela (?). Bref, il avait tout pour gagner, mais il a raté la marche d’un souffle. Alors du côté de la France Insoumise, on cherche à savoir pourquoi cela n’a pas marché.

Premier coupable clairement désigné avant même le scrutin: Fabien Roussel. Le communiste qui a refusé de rentrer dans le rang pour soutenir le vote utile. Certes ses 2,3% pèsent peu, mais ils auraient pu propulser Mélenchon au second tour. En 2017, lorsque le Parti communiste avait décidé de soutenir Emmanuel Macron contre Marine Le Pen, alors que lui-même évitait de se prononcer, le patron de la France Insoumise avait cédé à l’un de ces accès de violence dont il est coutumier: “vous êtes la mort et le néant” avait-il écrit au premier secrétaire du PC de l’époque. En 2022, Jean-Luc Mélenchon, s’est contenu. Il a laissé ses militants dire à Roussel ses quatre vérités, et s’est gardé de toute surenchère. Il faut dire que Fabien Roussel avait affiché durant la campagne sa différence, sur le nucléaire, sur la laïcité, sur la sécurité par exemple, mais aussi sur la bonne bouffe, au point de ne plus sembler soluble dans le programme de la France Insoumise.

Non, on ne peut mettre l’échec sur le dos des communistes. En revanche, les sociologues nous apportent une réponse qui depuis 48 heures fait flores sur les réseaux sociaux. Si Mélenchon n’a pas gagné c’est à cause des “boomers”. 39% des plus de 65 ans ont voté pour le président sortant (contre 16% pour Mélenchon) tandis que 33% des 18-34 ans votaient pour le candidat de la France Insoumise (contre 17% pour Macron). Conclusion: ceux qui ont voté pour Macron sont des riches retraités égoïstes, qui ont bien profité de la vie, et qui se fichent royalement de ce que subiront les jeunes générations, à cause de la politique menée par leur champion. Un peu simpliste? Oui, bien sûr. A tous les scrutins les votes de rupture sont plus souvent le fait des jeunes, que des plus âgés. Mais chez les Insoumis on va plus loin. Et on fait mine de s’interroger sur la légitimité des retraités à donner leur avis sur l’âge de la retraite. La CGT de la caisse nationale d’assurance maladie par exemple s’interroge: “Et si on dissociait le vote des retraités des décisions qui touchent le monde du travail…” Leur voix ne compterait plus dès lors que le monde du travail est concerné? Les retraités interdits d’urnes? Absurde, évidemment.

En fait cette petite musique est la version paranoïaque du “c’était mieux avant”. Les personnes de plus de 65 ans auraient profité d’avantages sociaux qu’ils refuseraient aujourd’hui à leurs enfants. Ils auraient connu l’argent facile, les études tranquilles, le travail de l’autre côté de la rue, la convivialité sans contraintes… et laisseraient aux jeunes un monde d’endettement, de parcoursup, de chômage, d’uberisation, de pandémie… Les plus âgés auraient en outre profité de la protection d’Emmanuel Macron pendant la pandémie -au détriment de la jeunesse privée de sorties, pénalisée par la disparition temporaire des petits boulots- et voteraient donc en retour pour un candidat à la présidentielle qui veut porter l’âge de la retraite -des plus jeunes- à 65 ans! Bref, haro sur les vieux! Certes la révolte des ados contre leurs aînés n’est pas une nouveauté de l’époque. La génération précédente, celle des boomers justement, avait appris que pour s’épanouir il fallait, symboliquement, tuer le père. Mais là, il ne s’agit plus de psychanalyse. Des sociologues et des économistes théorisent cette rupture générationnelle. Les jeunes n’auraient jamais été si malheureux, tandis que les vieux pèteraient dans la soie. Excessif? Bien sûr. Les vieux auraient beau jeu de rappeler qu’ils ont connu le service militaire, voire la guerre en Algérie, et l’inflation à 13%, et pas les repas d’étudiants à 1 euro, et le Sida… Mais cela ne ferait pas vraiment avancer le schmilblick… Peut-être la raison du manque à gagner de Jean-Luc Mélenchon, s’appelle aussi Mélenchon: le “bruit et la fureur”, les coups de gueule et la violence verbale, la volonté de “tout conflictualiser”, ses positions caricaturales contre l’Allemagne ou pour ses amis autoritaires d’Amérique latine, son soutien inconsidéré à la Russie de Poutine… tous emportements de nature à séduire plus surement une jeunesse révoltée, que les générations plus apaisées.

Dans l’impasse populiste

Réveil brutal pour tout le monde ce 11 avril. Parmi les Français qui ont voté, un électeur sur trois a choisi dimanche un bulletin d’extrême droite. C’est historique. 5 points de plus qu’en 2017, 12 de plus qu’en 2012… Et si l’on additionne les voix des partis qui proposaient de remettre en question les traités européens, on atteint la majorité absolue des électeurs. Au moment où le fracas des canons vient nous rappeler la chance que nous avons de vivre en démocratie, et le besoin d’encore plus d’Europe, les Français votent de plus en plus pour l’intolérance, l’autoritarisme, le rejet de l’étranger, et/ou l’enfermement national.

Certes l’agrégation ponctuelle des votes ne fait pas un mouvement. Le populisme national de Jean-Luc Mélenchon n’a rien à voir avec celui d’Eric Zemmour ou Marine Le Pen. Mais cette poussée de scepticisme européen et d’enfermement national, cette volonté de remettre en question les alliances, sont la traduction électorale de l’effondrement des partis traditionnels qui ont construit au fil des alternances la place de la France dans le Monde.

Pour eux le réveil est encore plus terrible. La droite héritière de De Gaulle, comme la gauche social-démocrate sont au tapis. C’est l’aboutissement du processus entamé en 2017 avec l’arrivée d’Emmanuel Macron, aiment à dire les analystes. Mais pas seulement! C’est aussi le prix payé par une classe politique qui s’est plus distinguée au fil des ans par la défense de ses privilèges et la protection de ses prés carrés, que par l’audace de ses propositions pour affronter les défis à venir. Qui n’a jamais su dépasser les stériles querelles de chapelles pour se mettre au niveau des défis nationaux et européens. Qui n’a cessé, d’alternance en alternance, de guerroyer stérilement, sans jamais s’élever au niveau des enjeux collectifs, préférant défaire systématiquement le tissu national pour y imprimer sa griffe.

A ce stade, il faut casser les reins à une idée reçue héritée des débuts de la Cinquième République et des traumatismes nés de la Quatrième. Non le scrutin majoritaire à deux tours n’est pas une garantie de stabilité démocratique, tout au plus d’immobilisme. La démocratie c’est la négociation, le compromis, la recherche de consensus. Pas le pouvoir absolu d’un président s’appuyant sur une assemblée de députés dévoués et soumis. L’Allemagne nous démontre à chaque scrutin que les majorités de compromis permettent de façon bien plus sûre de faire progresser durablement un pays, sans défaire sans cesse ce qui a été fait la veille.

Et maintenant? On se console chez les Républicains comme les Socialistes, en se disant que les législatives peuvent encore être gagnées. Grâce justement au scrutin majoritaire à deux tours, leur implantation forgée par des années passées dans leurs circonscriptions, souvent à grand renfort de clientélisme, devrait -espèrent-ils- leur garantir un nombre significatif de députés. Emmanuel Macron s’est dit favorable à la proportionnelle, mais n’entend pas l’imposer aux partis politiques, et de toutes façons n’aura pas le temps avant les prochaines législatives. Avec l’aide d’Edouard Philippe qui a déjà lancé une OPA sur les Républicains, et de ses appuis de gauche réunis dans deux partis réunissant d’anciens socialistes, le président espère sans doute, en cas de victoire au second tour, retrouver une majorité absolue comme en 2017. Mais même si c’était le cas, il ne ferait que s’inscrire dans la continuité d’un processus qui nourrit le vote extrémiste et donc la fracturation de la société française. Dans son intervention de dimanche soir il s’est dit «prêt à inventer quelque chose de nouveau pour rassembler les convictions et les sensibilités diverses afin de bâtir avec eux une action commune»…Faute d’instaurer au plus tôt la proportionnelle -qui imposerait effectivement de rassembler les convictions et sensibilités diverses- il lui faudra effectivement beaucoup d’inventivité pour revitaliser notre vie démocratique.

Fake politique…

Quelle fin de campagne! Première en France de “l’ère de la post-vérité”. Les Etats-Unis, d’où nous vient le concept, avaient déjà connu ça en 2016 avec l’élection de Donald Trump et l’accumulation de fake-news et mensonges de propagande du personnage, tandis que les anglais avaient droit à leur lot de tromperies avec la campagne pour le Brexit. Le dictionnaire britannique Oxford en avait fait le mot de l’année 2016 avec la définition suivante: « circonstances dans lesquelles les faits objectifs ont moins d’influence pour modeler l’opinion publique que les appels à l’émotion et aux opinions personnelles. »

Nous y sommes. La définition s’applique parfaitement à la campagne que nous finissons de vivre: pas ou peu de polémiques sur les faits objectifs, c’est à dire les projets que sont supposés incarner les douze candidats. Non pour dire qu’ils n’ont pas de projets, mais plutôt qu’ils ne se sont pas réellement battus pour les défendre. L’exemple parfait en est la campagne ratée de Valérie Pécresse. De meetings en interviews, elle a axé toute sa communication sur -ou plutôt contre- celui dont elle affirmait qu’elle était “la seule à pouvoir le battre”, qui lui avait “pillé son programme”, qui “refusait le débat avec elle par lâcheté”, le président sortant. Même chose ou presque pour Jean-Luc Mélenchon qui a passé toute son énergie ces derniers jours à dénoncer la soi-disant volonté du même Emmanuel Macron de mettre les enfants de douze ans en apprentissage -projet démenti par l’intéressé et qui ne figure pas dans son programme, donc fausse nouvelle- puis à se féliciter de l’avoir fait changer d’avis sur le sujet… Et que dire d’Eric Zemmour dont le discours électoral n’est fait que d’affirmations fausses, de promesses irréalisables, et d’appel permanent aux pires émotions, au plus bas travers… le rejet de l’autre, la haine de l’étranger et de tout ce qui n’entre pas dans le moule sécurisant d’une idée de la France soi-disant éternelle qui n’a jamais existé.

Mais il faut reconnaître que les candidats s’appuient sur un terrain labouré depuis 5 ans. Peu à peu, d’abord via les réseaux sociaux, puis les chaines de télévision “d’information” en continu, puis enfin l’ensemble des médias, se sont installés dans la dictature de l’émotion, le règne de l’opinion. Les faits objectifs n’ont pas disparu mais ont été ramenés au rang de support du commentaire, de l’opinion. Ce n’est pas l’objectivité des faits qui intéresse les plateaux télé, mais beaucoup plus le “ressenti”. Ressenti pour ou contre la vaccination, plutôt que suivis de pharmaco-vigilance, ressenti sur l’évolution du pouvoir d’achat plutôt que chiffres de l’Insee, opinions sur l’évolution du chomage et la multiplication des emplois précaires, plutôt que rapports de l’ANPE, ressenti sur les mesures d’aides dans la période du “quoi qu’il en coûte” du gouvernement plutôt qu’études statistiques. Et de fait on entretient tous les travers complotistes du public, puisqu’il traduisent de l’émotion ressentie, et des opinions personnelles mais partagées. On l’a vu pendant la crise des gilets jaunes, mais aussi avec la pandémie, et dans la préparation de l’élection présidentielle.

C’est par moment spectaculaire. Pendant cette campagne, Marine Le Pen, par exemple a bénéficié d’un traitement par les médias dont l’angle principal, le narratif politique, était: comment elle est parvenue à se dédiaboliser et à paraître aimable en se faisant la championne du pouvoir d’achat. Les faits objectifs -les condamnations du Front National, le financement russe de son parti, mais aussi les mesures de nature discriminatoires et anticonstitutionnelles qu’elle propose, ou encore le financement impossible de son programme- ont été éclipsés par le commentaire 100 fois répété de l’amélioration de son image, et de sa progression quotidienne dans les sondages. Pour cela, il faut dire que les sondages quotidiens réalisés par les principaux instituts font le bonheur du commentateur. Pas besoin de se creuser la tête, d’envoyer des enquêteurs sur le terrain, d’étudier dans le détail les programmes… trois sondages par jour avec quelques variations de chiffres après la virgule, et quelques micro-trottoirs, où l’on recueille “le ressenti” des électeurs, nourrissent mieux le commentaire d’opinion quotidien que de fastidieuse discussions autour de faits objectifs.

Dans cette ère de la post-vérité, il y a donc des opinions qui ne se discutent pas. Exemples: «Marine Le Pen est la candidate du pouvoir d’achat», ou encore «le vote utile à gauche, c’est Mélenchon» ou également «les Français détestent Macron»… Des opinions qui a force de rabâchage sur les plateaux-télé deviennent réalités du moment. Du coup lorsque dans un sondage, les quelques 30% d’électeurs qui ont l’intention de voter pour le président sortant disent bien sûr souhaiter qu’il soit réélu, tandis que les électeurs des autres candidats ne le souhaitent évidemment pas, le commentaire devient: «près de 70% des électeurs ne souhaitent pas que Macron soit réélu». CQFD.

Bien sûr on pourra rétorquer le président sortant n’a pas su ou voulu s’adapter à cette nouvelle donne et mener une campagne plus active, plus investie, pour provoquer la confrontation des programmes. Sans doute n’a -t-il pas senti, qu’entre 2017 et 2022 on avait -un peu- changé d’époque. Que cette bataille pour provoquer les émotions du public en mettant en scène les opinions les plus caricaturales, les plus outrées -Cyril Hanouna étant le champion toutes catégories de cette nouvelle “tendance”- exigeait, même d’un président en charge, même en temps de guerre, et d’épidémie, qu’il descende dans l’arène, pour se frotter aux fake-news, aux procès d’intentions, aux attaques de circonstances sur la thématique du “scandale d’Etat”. Sur ce dernier chapitre le prix du plus beau coup fourré de campagne va incontestablement aux gens qui ont conseillé aux parents de Samuel Paty de porter plainte contre l’Etat à trois jours de l’élection, contre l’avis de la compagne et du fils de la victime de l’assassinat à motivation islamiste intervenu il y a 18 mois.

En attendant le 24 avril, on aura dimanche une première idée de l’endroit où tout cela nous a conduit. Si le résultat du vote démontre, comme on peut le craindre, que nous avons en France la plus forte extrême droite d’Europe, et que trois des candidats mis par les Français dans le quatuor de tête sont ceux qui nous promettent sinon un retrait, du moins un repli de l’engagement européen de la France, il y aura à s’interroger sur les raisons qui nous ont conduit là.

Quelle issue à la sale guerre de Poutine?

Alors que le monde découvre les horreurs de la sale guerre de Poutine, où l’on ramasse dans les villes que vient de quitter son armée, les cadavres de civils abattus dans la rue, parfois les mains entravées, les négociations de paix se poursuivent à Istanbul. Sans que l’on sache exactement où en sont les émissaires des deux pays, puisque Moscou s’applique à y souffler le chaud et le froid. Il y a quelques jours, le Kremlin annonçait que les négociations étaient “significatives” et promettait de “réduire radicalement” ses opérations militaires autour de Kiev. Dès le lendemain le même Kremlin précisait qu’il n’y avait “rien de très prometteur” dans les négociations et bombardait la zone en question. Depuis mercredi dernier, le ministère de La Défense russe promet un “régime de silence” c’est à dire un cessez le feu à Marioupol, afin de permettre l’évacuation de civils. Mais depuis, le Kremlin et La Croix Rouge se renvoient la responsabilité d’un échec de la mise en place du couloir humanitaire.

Lundi, les négociateurs ukrainiens annonçaient toutefois que la Russie avait accepté “oralement” les propositions de l’Ukraine, en particulier la promesse d’un référendum sur la neutralité du pays, et qu’une rencontre Poutine-Zelensky pourrait avoir lieu prochainement en Turquie.

Acceptons en l’augure! La seule voie de salut pour la population ukrainienne, au delà du simple respect par l’ennemi de couloirs humanitaires, passe évidemment par des négociations entre Moscou et Kiev. On ne peut en effet faire la paix qu’avec son ennemi, et donc à un moment ou l’autre il faut chercher une issue de compromis. Qui dit compromis dit concessions, et c’est là que l’exercice s’avère bien difficile. D’autant plus à cause du caractère dissymétrique de ce conflit.

Il y a dissymétrie tout d’abord dans le rapport de forces. D’un côté un pays de 144 millions d’habitants, de l’autre seulement 44 millions. La deuxième armée du monde, plus de deux millions de soldats mobilisables (actifs plus réservistes), contre 500000 à l’Ukraine. Un budget militaire de 1000 dollars par habitants en Russie contre 270 dollars par Ukrainien. Mais il y a plus. Cette guerre est dissymétrique parce que jusqu’à l’hypothétique attaque ukrainienne contre un dépôt de carburant en Russie, elle se déroulait exclusivement sur le territoire ukrainien, à l’initiative de la seule Russie et avec un but de guerre qui est tout simplement l’anéantissement d’un pays indépendant. Comment négocier dans un tel déséquilibre. Quelles concessions demander à un pays qui subit une telle agression de la part d’un pays plus puissant, et ne s’est rendu coupable d’aucune agression à l’égard de celui-ci? Quel compromis trouver entre la volonté de détruire, et l’espoir de survivre? Le chemin de la paix semble bien incertain.

Si l’on en croit une majorité d’observateurs, un compromis pourrait être de couper l’Ukraine en deux et de céder à la Russie le Donbass et les rives de la mer Noire. Une amputation du pays, avec rattachement réel -par pure et simple annexion- ou virtuel -par création de pseudo-états indépendants- de près de la moitié du territoire ukrainien à la Russie, privant l’Ukraine de son accès à la mer Noire. En échange (?), les armées de Poutine cesseraient de massacrer les populations civiles ukrainiennes. Drôle de deal! On a du mal à imaginer que les Ukrainiens acceptent un tel marché. Et digérent les milliers de morts qu’a déjà fait cette guerre dans leur population, l’exode de millions d’autres, l’horreur des exécutions présumées de civils, et les milliards d’euros de destructions des infrastructures… Mais ce n’est pas tout. Il semble que l’envahisseur ne se contente pas de dépecer son voisin et de le priver de son accès à la mer. Il faudrait aussi que les Ukrainiens acceptent de mettre dans la balance leur neutralité à jamais. C’est à dire leur renoncement à entrer dans l’Otan. Mais aussi une limitation de leurs capacités militaires. En clair la Russie attend de l’Ukraine qu’elle cède près de la moitié de son territoire, contre rien, et demeure ensuite sans défense, à la merci du prochain coup de tête de Vladimir Poutine.

De leur côté, les Ukrainiens arrivent à la table de négociations avec une exigence principale, simple: que l’armée russe se retire de leur territoire en totalité et sans conditions. Et se disent prêts à négocier sur les compensations financières que devra verser la Russie pour dédommager l’agressé, et disposés à organiser un référendum national sur la neutralité. On comprend dans ce contexte que le Kremlin estime que les conditions ne sont pas réunies pour une rencontre Poutine-Zelensky.

Poutine a raté sa guerre. Pour aboutir à une issue rapide, il avait besoin d’une capitulation immédiate de l’ennemi. Il attendait de son armée qu’elle s’empare de Kiev en quelques jours, en se débarrassant du président ukrainien, brutalement, ou en douceur avec l’aide éventuelle des occidentaux pour un exil rapide. Le reste, la mise en place d’un gouvernement fantoche, à la manière tchétchène ou biélorusse, avec lequel il pourrait négocier les conditions d’un genre de “pax sovietica” façon Budapest 1956 ou Prague 1968, l’ancien officier du KGB savait faire. Mais c’est raté! A partir du moment où ses buts de guerre semblent, au moins pour l’instant, hors d’atteinte, où Poutine apparait aux yeux du monde comme un criminel de guerre dont l’armée commet des atrocités, il sera bien difficile pour lui de trouver une sortie “honorable” au conflit. Et chaque jour, chaque découverte de massacres commis par ses troupes, en éloigne encore la perspective.