C’est ce qu’on peut appeler une sortie en beauté. A 71 ans, à sa troisième tentative, Jean-Luc Mélenchon termine sa très longue carrière politique sur un résultat inespéré. 22% des voix. A quelques centaines de milliers de voix près, il aurait été au second tour, face à Emmanuel Macron. Prêt à ce duel dont il avait rêvé. On y a même cru pendant quelques heures dimanche soir, à la France Insoumise, lorsque les estimations semblaient se resserrer. Les instituts de sondages avaient vu sa progression mais pas mesuré son ampleur.
C’est incontestablement à lui-même qu’il doit d’abord ce bon résultat. Tribun brillant, homme de culture, Jean-Luc Mélenchon a su exploiter au mieux l’effondrement du reste de la gauche. La petite musique du vote utile a fait son effet. Alors qu’Anne Hidalgo s’enfonçait un peu plus à chacune de ses prestations, que Yannick Jadot paraissait totalement prisonnier du carcan de son entourage, peu à peu le leader de la France Insoumise est apparu comme le seul vote de gauche susceptible de faire échec à l’extrême-droite. Le programme était là, avec ses excès, son petit côté désuet -la planification plus les sovkhozes… écologistes- son anti-américanisme -quitter l’Otan pour faire alliance avec la Russie- sa détestation affichée des riches -“ils auraient tort de s’enfuir car je les rattraperai”… Il avait bénéficié du soutien de l’ange tutélaire de la pensée de gauche, Christiane Taubira, mais aussi de la plus versatile des personnalités socialistes, Ségolène Royal, ceci compensant peut-être cela (?). Bref, il avait tout pour gagner, mais il a raté la marche d’un souffle. Alors du côté de la France Insoumise, on cherche à savoir pourquoi cela n’a pas marché.
Premier coupable clairement désigné avant même le scrutin: Fabien Roussel. Le communiste qui a refusé de rentrer dans le rang pour soutenir le vote utile. Certes ses 2,3% pèsent peu, mais ils auraient pu propulser Mélenchon au second tour. En 2017, lorsque le Parti communiste avait décidé de soutenir Emmanuel Macron contre Marine Le Pen, alors que lui-même évitait de se prononcer, le patron de la France Insoumise avait cédé à l’un de ces accès de violence dont il est coutumier: “vous êtes la mort et le néant” avait-il écrit au premier secrétaire du PC de l’époque. En 2022, Jean-Luc Mélenchon, s’est contenu. Il a laissé ses militants dire à Roussel ses quatre vérités, et s’est gardé de toute surenchère. Il faut dire que Fabien Roussel avait affiché durant la campagne sa différence, sur le nucléaire, sur la laïcité, sur la sécurité par exemple, mais aussi sur la bonne bouffe, au point de ne plus sembler soluble dans le programme de la France Insoumise.
Non, on ne peut mettre l’échec sur le dos des communistes. En revanche, les sociologues nous apportent une réponse qui depuis 48 heures fait flores sur les réseaux sociaux. Si Mélenchon n’a pas gagné c’est à cause des “boomers”. 39% des plus de 65 ans ont voté pour le président sortant (contre 16% pour Mélenchon) tandis que 33% des 18-34 ans votaient pour le candidat de la France Insoumise (contre 17% pour Macron). Conclusion: ceux qui ont voté pour Macron sont des riches retraités égoïstes, qui ont bien profité de la vie, et qui se fichent royalement de ce que subiront les jeunes générations, à cause de la politique menée par leur champion. Un peu simpliste? Oui, bien sûr. A tous les scrutins les votes de rupture sont plus souvent le fait des jeunes, que des plus âgés. Mais chez les Insoumis on va plus loin. Et on fait mine de s’interroger sur la légitimité des retraités à donner leur avis sur l’âge de la retraite. La CGT de la caisse nationale d’assurance maladie par exemple s’interroge: “Et si on dissociait le vote des retraités des décisions qui touchent le monde du travail…” Leur voix ne compterait plus dès lors que le monde du travail est concerné? Les retraités interdits d’urnes? Absurde, évidemment.
En fait cette petite musique est la version paranoïaque du “c’était mieux avant”. Les personnes de plus de 65 ans auraient profité d’avantages sociaux qu’ils refuseraient aujourd’hui à leurs enfants. Ils auraient connu l’argent facile, les études tranquilles, le travail de l’autre côté de la rue, la convivialité sans contraintes… et laisseraient aux jeunes un monde d’endettement, de parcoursup, de chômage, d’uberisation, de pandémie… Les plus âgés auraient en outre profité de la protection d’Emmanuel Macron pendant la pandémie -au détriment de la jeunesse privée de sorties, pénalisée par la disparition temporaire des petits boulots- et voteraient donc en retour pour un candidat à la présidentielle qui veut porter l’âge de la retraite -des plus jeunes- à 65 ans! Bref, haro sur les vieux! Certes la révolte des ados contre leurs aînés n’est pas une nouveauté de l’époque. La génération précédente, celle des boomers justement, avait appris que pour s’épanouir il fallait, symboliquement, tuer le père. Mais là, il ne s’agit plus de psychanalyse. Des sociologues et des économistes théorisent cette rupture générationnelle. Les jeunes n’auraient jamais été si malheureux, tandis que les vieux pèteraient dans la soie. Excessif? Bien sûr. Les vieux auraient beau jeu de rappeler qu’ils ont connu le service militaire, voire la guerre en Algérie, et l’inflation à 13%, et pas les repas d’étudiants à 1 euro, et le Sida… Mais cela ne ferait pas vraiment avancer le schmilblick… Peut-être la raison du manque à gagner de Jean-Luc Mélenchon, s’appelle aussi Mélenchon: le “bruit et la fureur”, les coups de gueule et la violence verbale, la volonté de “tout conflictualiser”, ses positions caricaturales contre l’Allemagne ou pour ses amis autoritaires d’Amérique latine, son soutien inconsidéré à la Russie de Poutine… tous emportements de nature à séduire plus surement une jeunesse révoltée, que les générations plus apaisées.