Une victoire malgré tout, mais pour quoi faire?

En quelques heures l’analyse dominante s’est imposée sur tous les plateaux télé: Emmanuel Macron vient de connaître un nouvel échec cuisant! Après avoir été élu “par effraction” en 2017, l’homme incontestablement “le plus détesté” des Français, champion de “l’arrogance et du mépris”, a réussi à devenir le président “le plus mal élu de la 5ème République”! Bref, pas de quoi pavoiser! A l’inverse, Marine Le Pen est en pleine progression, avec près de 42% à son 3ème échec, ce qui constitue un défaite sans appel… pour le président sortant. Sans parler de Jean-Luc Mélenchon, enfin parvenu au centre de l’échiquier politique, à la faveur de sa troisième défaite à la présidentielle, à cause de la politique menée par… Emmanuel Macron.

Il y a évidemment beaucoup à dire sur le premier quinquennat d’Emmanuel Macron. Sur sa façon de s’égarer parfois, à l’issue de raisonnements pas toujours accessibles au commun, à prendre quelques mesures extrêmement impopulaires, et dont l’utilité ne paraissait pas flagrante. Sur son incapacité -certes partagée avec d’autres- à associer les corps intermédiaires à son exercice du pouvoir. Sa réticence à la négociation. Sur son recul devant l’indispensable modification du mode de scrutin législatif, qui aurait été possible, pour autant qu’il renonce à en faire une réforme constitutionnelle. Sur d’autres points encore… la critique étant facile à l’issue de l’exercice. Mais tout de même! Nous sommes sans doute le seul pays du monde où une victoire à l’élection présidentielle puisse être unanimement, ou presque, traitée comme une défaite. La seule démocratie, où l’on remette en question la légitimité du suffrage universel, dans la seconde qui suit le vote du peuple souverain. Avant même la communication du résultat, certains commentateurs prévenaient déjà qu’en raison de l’abstention le président élu aurait un déficit de légitimité!

Clarifions les choses. Douze candidats étaient présents au premier tour de l’élection présidentielle. Personne n’a été empêché de voter. C’est donc bien le peuple qui a choisi! Qu’il ait choisi de voter ou de s’abstenir, c’est son choix. Qu’il ait choisi de voter à 42% au second tour pour l’extrême-droite est regrettable, mais c’est la démocratie. Qu’une partie des électeurs aient voté “par défaut” est certain, mais c’est leur choix. C’est le principe même du scrutin à deux tours. Au premier tour on choisit celui dont on se sent le plus proche, au second on élimine celui qu’on craint le plus. Tout cela ne change rien à la légitimité de celui qui est choisi par le suffrage universel. Et l’on peut encore moins invoquer l’inconsistance ou l’impréparation de tel ou telle candidat ou candidate du premier tour, pour contester le choix des électeurs.

Certes Macron n’est élu qu’avec 38,5 % des inscrits au second tour contre 43,6 % en 2017. Mais Hollande ou Sarkozy avaient fait à peine mieux (39,1% pour le premier 42,17% pour le second). Quand à son score de premier tour, il était de 20% des inscrits en 2022, contre 22,3 pour Hollande en 2012 mais seulement 13,75% pour Chirac au premier tour de 2002. Donc ce n’est certes pas brillant, mais ce n’est pas non plus un déni de démocratie, comme certains mauvais perdants essayent de nous en convaincre. Il reste in fine un président réélu aussi légitime que l’est le suffrage universel. Celui que les Français ont choisi, comme les autres avant lui.

Et l’on aurait beau jeu de rappeler aux mauvais perdants du jour qui se sont empressés de dénoncer le manque de légitimité du nouveau président que Jean-Luc Mélenchon a été élu député à Marseille par 20% des inscrits au second tour après avoir rassemblé au premier tour 14% des électeurs… ou que Marine Le Pen, a obtenu au second tour à Hénin Beaumont 29% des inscrits. Ils sont tout aussi députés que Macron est président.

Alors bien sûr, Emmanuel Macron ne pourra pas compter sur une seule minute d’état de grâce. Ses nombreux opposants vont tenter de le déstabiliser dès le première minute de son nouveau quinquennat afin d’emporter ce qu’ils qualifient de “3eme tour”, et qui est tout simplement une autre élection. “Elisez-moi premier ministre” clame celui qui est toujours persuadé de son destin national, malgré les échecs successifs.

Les élections législatives seront effectivement décisives. Parce que, si les oppositions l’emportent elles pourraient imposer la cohabitation dont elles rêvent, et défaire ainsi le résultat de la présidentielle. A condition que l’un des blocs d’opposition, France Insoumise ou Front National, l’emporte largement sur la majorité présidentielle, et sur son rival. Ce n’est pas impossible, mais sans doute pas le plus probable. De façon plus conforme à l’habitude, le mode de scrutin législatif pourrait simplement conduire à une reconduction d’un bloc largement majoritaire soutenant le président, avec le risque de retrouver l’Emmanuel Macron du quinquennat précédent, gouvernant à son envi, avec l’appui d’une majorité absolue au parlement acquise à sa cause.

Si c’était le cas, comme le suggèrent les premiers sondages sur les législatives, les mêmes causes pourraient produire les mêmes effets. Le sentiment de déconnexion entre le pouvoir et la vie réelle, qui a mené à des manifestations sans précédents ces dernières années, et à un vote protestataire massif, avec une très forte progression des extrêmes, pourraient s’aggraver encore et conduire à cette prise de pouvoir de l’Extrême-droite que l’on a finalement évité les 10 et 24 avril. Il faut refonder, revivifier, notre vie démocratique. Cela suppose pour le Président de ne pas se satisfaire de sa propre capacité à réformer, mais bien de rechercher les voies pour recréer du consensus dans la société. Sans un minimum de consentement public, les réformes les plus audacieuses ou les plus utiles resteront lettres mortes. Cela passe par la remise en majesté de la négociation qui est au fondement de notre consensus social. Avec les corps intermédiaires, mais aussi les adversaires politiques du moment, ou d’hier. Certes pour négocier, il faut être au moins deux, mais il appartient à celui qui détient le pouvoir de créer les conditions de la négociation.

La première de ces conditions sera sans doute le changement de mode de scrutin. Il faut introduire, avec les amendements nécessaires, la proportionnelle aux élections législatives. Pour que la représentation des courants politiques à l’Assemblée Nationale reflète leur poids dans la société. C’est une condition pour que le sentiment de spoliation régresse. Dans son discours du 24 avril Emmanuel Macron a promis de gouverner différemment, « l’invention collective d’une méthode refondée pour cinq années de mieux ». L’intention est louable, elle montre qu’il a pris conscience du fait que la simple prolongation de son mandat précédent conduirait à une impasse. Il reste à donner du contenu aux mots. Et cela commence maintenant.

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