Un double échec et un défi

Les lendemains électoraux se ressemblent. En général chacun tente de démontrer qu’il est finalement plus gagnant ou moins perdant que son voisin et concurrent. Le scrutin de ce dimanche a en tout cas consacré l’échec de la classe politique dans son ensemble, à l’exception du Rassemblement National de Marine Le Pen qui pourrait se retrouver avec un groupe parlementaire qu’il n’avait pas il y a cinq ans.

Et cet échec est d’abord collectif! A partager par l’ensemble de la classe politique, et le monde médiatique. Les uns et les autres auront tout fait, au delà même du raisonnable, pour convaincre les électeurs de l’importance du moment, enfilant vraies et fausses polémiques, coups de tonnerre et engueulades, prises de position caricaturales et accès de mauvaise foi, remise en question de la neutralité médiatique et omniprésence des commentateurs politiques. Les enjeux avaient été simplifiés à l’extrême pour aider les électeurs à s’y retrouver. A la présidentielle, il fallait faire échec à l’extrême-droite, pour une fois doublement incarnée dans ce qu’elle a de pire. Aux législatives on avait joué le remake du programme commun, comme pour rendre aux électeurs l’ambiance des jours heureux, pour la démocratie, où les taux de participation aux législatives dépassaient les 70%! On avait même brandi la menace de l’autre extrême, celle qu’incarne Jean-Luc Mélenchon pour ajouter à l’enjeu. Peine perdue. L’abstention a atteint hier son record absolu pour un premier tour de législatives, 52,49%. Plus d’un Français sur deux, apparemment, s’en fout, et personne ne peut s’en réjouir.

Cela étant dit, il reste ensuite à déterminer, comme toujours, qui a le plus gagné ou le moins perdu. A peser le poids du quasi-échec et de la semi-victoire. Et là, le trébuchet semble hésiter. Avec environ 26% des voix à des poussières près, les deux principales formations présentes aux législatives sont au coude à coude -il n’en fallait pas plus pour que pleuvent les accusations de tricherie-. Mais on peut en rester à un constat: “Ensemble” le regroupement qui soutenait Emmanuel Macron, et “Nupes” celui qui soutenait Mélenchon ont fait jeu égal. Et ce n’est une bonne nouvelle pour personne.

A tout seigneur tout honneur, le premier perdant est bien sûr le président. Elu au premier tour de la présidentielle avec près de 28% des voix, il voit le score de ses soutiens tomber à 26% avec une participation bien inférieure. Si l’on raisonne en pourcentage des inscrits 20% avaient choisi le programme du président sortant, le 10 avril, au premier tour de la présidentielle, ils ne sont que 12% à avoir choisi au premier tour des législatives de lui donner les moyens de le mettre en œuvre. C’est une première! Et cela ressemble fort, sinon à un changement d’avis du corps électoral, en deux mois, du moins à une absence totale de dynamique. Emmanuel Macron et ses soutiens ont échoué à impulser une dynamique de succès dans la foulée du premier tour de la présidentielle qui semblait pourtant indispensable dans la perspective des réformes annoncées. Echec d’autant plus visible si l’on compare aux résultats de 2017, où la République en Marche et le Modem dépassaient à eux-deux les 32% de suffrages exprimés.

Le second perdant, ou le premier par ordre décroissant d’égo (?), est Jean-Luc Mélenchon. Il avait parié sur Matignon, demandant aux Français de “l’élire premier-ministre”, alors même qu’il ne se présentait pas aux législatives! Il n’y est pas! Même si les sondages de deuxième tour de législatives sont toujours sujets à caution, on n’imagine pas qu’il puisse, à partir du score de parité du premier tour, décrocher la majorité absolue à l’Assemblée Nationale pour son camp. Pire, en pourcentage des suffrages exprimés, la Nupes reste loin du total des votes de gauche du premier tour de la présidentielle. 26%, contre un peu plus de 30%. Non seulement la dynamique Nupes n’a pas ramené aux urnes des électeurs de gauche déçus, mais visiblement la mayonnaise mélenchonienne n’a pas pris, malgré la soumission des partenaires de la France Insoumise, qui ont tout fait pour se couler dans le moule prévu pour eux. Et ce constat est confirmé lorsqu’on compare à 2017, puisque le regroupement mélenchonien retrouve à peu de choses près le résultats des partis de gauche au premier tour des législatives de 2017, alors qu’il n’y avait pas à cette époque de dynamique unitaire. La différence par rapport à il y a cinq ans, c’est que Jean-Luc Mélenchon n’est plus député et que le meilleur tribun de la gauche ne pourra plus faire entendre son bruit et sa fureur à l’Assemblée.

D’autres le feront à sa place. On peut s’attendre à voir sur les bancs de l’Assemblée Nationale une opposition d’extrême-gauche très fournie. L’OPA de Mélenchon sur la gauche, si elle ne l’a pas conduit au pouvoir, devrait permettre à son parti, qui disposait de 17 députés dans la mandature précédente, de peser beaucoup plus lourd comme première force d’opposition. Et de poursuivre avec plus de vigueur encore la stratégie de conflictualisation à outrance de son leader. Faut-il s’attendre pour autant à vivre dans un pays ingouvernable? Cela dépendra évidemment du résultat du second tour et de l’effet du mode de scrutin. On ne peut exclure que le coude à coude en voix du premier tour se traduise au second tour par une majorité absolue pour le Président, ce qui générerait on s’en doute une immense frustration et un grand sentiment d’injustice dans l’opposition. Mais cela reste moins probable qu’il y a cinq ans! Le président risque bien de se retrouver à gérer une majorité relative à l’Assemblée. Certes il pourrait toujours répondre à un déficit majoritaire par une nouvelle campagne de débauchage à droite, voire à gauche en jouant sur les dissensions entre les alliés de Nupes qui devraient s’exacerber avec la mise en retrait de Jean-Luc Mélenchon. Mais outre la difficulté d’un exercice, qui a déjà bien servi, la clarté de son engagement politique s’en trouverait bien affectée et ne ferait qu’accélérer le désamour des électeurs pour la chose politique.

Alors, et si l’heure n’était plus aux petits arrangements entre anciens ennemis, mais plutôt à la recherche de partenariats constructifs, pour la mise en œuvre de politiques publiques nouvelles, transpartisanes? Si la revalorisation de la politique et donc de la parole publique passait par une nouvelle ère de recherche de consensus autour de projets partagés avec les forces vives de la nation, syndicats, associations, mais aussi rivaux politiques, capables de trouver le chemin à des accords de programme dans l’intérêt du plus grand nombre? Sommes nous si atypiques en Europe que nos partis politiques, et on ne parle pas là des extrêmes, ne puissent s’entendre pour agir en commun dans l’intérêt de leur pays? S’il faut réformer les retraites, et les institutions, et adopter un plan d’urgence pour le pouvoir d’achat, et relancer la lutte contre la dégradation du climat… ne peut-on le faire par consensus ponctuels entre rivaux partageant le souci du progrès commun?

Notre système politico-électoral a probablement atteint ses limites. Il y a quelques semaines, en fin de campagne présidentielle, Emmanuel Macron se disait prêt à aller jusqu’à la proportionnelle intégrale. Il est temps de s’y mettre, intégrale ou pas. Et de redonner un second souffle à notre démocratie tant qu’il reste des électeurs. Ce ne sera pas facile. Les politiques français n’ont pas la même culture de la négociation et du compromis que leurs homologues européens. Mais si l’on veut sortir de cette étrange guerre civile qui s’installe sur les réseaux sociaux et les chaînes d’info, il va falloir s’y faire. La représentation nationale doit redevenir plus conforme aux aspirations des électeurs, et les hommes politiques trouver ou retrouver le chemin du dialogue.

On connaît les dangers de la proportionnelle. La quatrième République les a illustrés. Mais c’était il y a plus d’un demi-siècle. Entre-temps, les Allemands ou les Espagnols, et d’autres encore en Europe et ailleurs, nous ont montré qu’un système de représentation parlementaire proportionnelle pouvait être viable et parfois même diablement efficace. Alors ne perdons pas de temps, inventons dès maintenant des solutions nouvelles pour associer plus étroitement le peuple de France à l’action publique, pour mieux représenter aupour construire l’avenir avec tous, syndicats, associations, partis politiques, avant qu’à force de tout conflictualiser, on ait fini par détruire tout ce qui finalement ne marche pas si mal.

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