Une chance à saisir?

Et si le résultat sorti des urnes ce dimanche, constituait une chance à saisir pour la classe politique française? Bien sûr, c’est d’abord un séisme, un échec terrible pour le Président de la République, une grande première dans l’histoire de la cinquième république, une menace grave sur la stabilité, la perspective d’une France ingouvernable, la fin des réformes, la garantie de l’affrontement permanent, et tout et tout… Bref le retour du spectre de la paralysie publique que l’on croyait avoir conjuré depuis 1958. Mais encore?

Pour la première fois en dehors des périodes de cohabitation (à deux reprises) ou de fronde (sous Hollande) le président de la République fraichement élu ne disposera pas d’une majorité automatique à l’Assemblée Nationale. Il lui manquera 44 députés (s’il parvient à maintenir la cohésion des siens) pour atteindre la majorité absolue. Si l’on suppose que la Nupes constituée sous les directives de Jean-Luc Mélenchon, conserve son intégrité de force d’opposition, seule la droite, LR + UDI, avec ses 64 élus pourrait constituer la force d’appoint nécessaire. Cela supposerait une alliance entre LR et le parti d’Emanuel Macron, qui parait assez hypothétique à ce jour. Si Jean-François Copé a plaidé pour un “pacte de gouvernement” dès les résultats connus, Eric Ciotti et Christian Jacob ont tout de suite rejeté l’idée, confirmant qu’ils sont et resteront dans l’opposition. Or s’il n’y a pas d’alliance formelle avec un parti d’opposition, Ensemble, le parti d’Emmanuel Macron va devoir “bricoler”.

Bricoler, cela veut dire chercher des majorités de circonstances à chaque projet de loi. On peut imaginer par exemple qu’une partie des députés de droite soient disposés à voter un projet de réforme des retraites. Ou encore qu’une partie de la gauche se laisse convaincre sur un projet de nature à améliorer le pouvoir d’achat. Mais évidemment, à la différence de la majorité absolue du quinquennat précédent, cela n’aura plus rien d’automatique. Il faudra convaincre les soutiens d’un jour pour les rallier. Il faudra donc accepter qu’ils mettent leur grain de sel, apportent leurs propres suggestions et critiques, leurs amendements, aux projets qu’on leur demandera de voter. Bref, il faudra négocier! Pour trouver à chaque projet un compromis acceptable par une majorité de députés. Tout le contraire des habitudes de la Cinquième république et, il faut bien le dire, d’Emmanuel Macron.

Jusqu’ici on ne peut pas dire que le président ait démontré un grand talent dans la recherche de compromis avec l’opposition. Voire dans la négociation avec les partenaires sociaux ou les milieux associatifs. Fort d’une majorité absolue, dont on ne peut pas dire qu’elle l’ait beaucoup bousculé sur ses projets, il a plus imposé ses idées que cherché à négocier. Il n’est pas le premier, tous les présidents de la Cinquième République se sont comportés de la même manière, chacun s’attachant à imprimer sa marque, faire ses propres réformes, quitte à voir son successeur les défaire à l’échéance électorale suivante. C’est ainsi que ce pays change de projet éducatif, mais aussi de régime fiscal, de politique sécuritaire, voire de modèle social à intervalle régulier, faute d’avoir pu définir sur des sujets essentiels un modèle consensuel pérenne que plusieurs forces politiques, concurrentes par ailleurs, puissent s’approprier.

Et pourtant! Serait-il absurde d’imaginer, par exemple, qu’un projet éducatif puisse être partagé, parce qu’il résulte d’une négociation, et n’appartienne plus à tel ou tel ministre? Un projet éducatif que plusieurs forces politiques et syndicats soutiendraient, et qui bénéficierait enfin du temps indispensable pour obtenir des résultats, et donnerait envie aux personnels de l’éducation de s’investir sur la durée. On se met d’accord et pendant dix ans on n’y touche plus, jusqu’à ce qu’on puisse en mesurer les résultats… Chiche!

Au moment où la question de la préservation du climat semble faire consensus parmi les forces politiques n’est-il pas également possible de négocier entre la majorité et une partie de l’opposition un ensemble de mesures de nature à apporter une première réponse à l’urgence de la situation? Au terme d’une vraie négociation, avec des concessions et compromis de part et d’autres, non pas pour arriver au projet idéal, mais juste pour faire avancer les choses ensemble, dans le bon sens.

Evidemment, on pourra toujours rétorquer que pour négocier il faut être deux, au moins, et que si cela ne marche pas c’est toujours la faute des autres. La période politique ultra-conflictuelle actuelle ne donne pas l’impression que les uns et les autres soient dans les bonnes dispositions d’esprit pour négocier ensemble des réformes. Depuis 5 ans on a plus entendu s’exprimer l’opposition systématique que l’esprit d’initiative et de proposition. Mais si, contraints et forcés par un scrutin aux résultats non prévus, qui fait la part belle au parlement aux partis extrémistes, quelques dizaines de députés de droite et de gauche acceptaient au coup par coup de jouer le jeu, pour éviter le pire… Si les partis qui se disent “de gouvernement” choisissaient le temps d’un mandat, d’accepter une forme de “cogestion” en sortant de l’opposition systématique, pour tenter d’influer sur les projets du gouvernement qui leur paraissent les moins inacceptables et en faire des projets partagés, comme cela se fait régulièrement dans d’autres pays européens… Si le Président de la République acceptait de considérer que les Français n’ont pas validé son programme en l’état, mais plutôt des orientations sur lesquelles il lui appartiendrait de rechercher un consensus national, par la négociation, avant de les transformer en projets, voire de reprendre quelques idées de ses opposants qui ne sont pas si éloignées des siennes… Ça nous changerait un peu des habitudes de la Cinquième République, mais cela vaudrait sans doute mieux que d’attendre le meilleur moment pour dissoudre une Assemblée nationale qui ne correspond pas à ses attentes, au risque de s’enfoncer encore un peu plus dans l’impasse démocratique.

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