Que cherchent exactement les députés de la France Insoumise au Parlement? On a compris qu’ils refuseraient systématiquement de soutenir quelque mesure gouvernementale que ce soit, c’est leur droit le plus strict. On a pu aussi mesurer depuis une semaine leur capacité d’invective, leur pouvoir de nuisance dans les débats, la violence de leurs arguments, leur capacité à transformer en farce les débats parlementaires. On a vu l’hémicycle se faire cour de récréation où tout est permis: procès d’intention, injures, mais aussi dérision, et surtout, décrédibilisation des débats, et donc de la démocratie. Mais tout cela pour en arriver où? Quelle est leur stratégie?
Etant minoritaires, même forts du soutien aveugle des autres partis de la Nupes, ils savent évidemment qu’ils n’ont à peu près aucune chance de faire chuter le gouvernement par l’adoption d’une motion de censure. Ils peuvent espérer tout au plus à la faveur d’un manquement du parti majoritaire faire adopter à la sauvette, avec le soutien du Front National l’un ou l’autre de leurs amendements, mais qui ne pourrait qu’être retoqué en deuxième lecture. Maigre butin en perspective. Même si l’amendement concerné est aussi ludique et abscons que celui qu’ils ont proposé en vain en début de lecture du projet de loi sur le pouvoir d’achat pour remplacer l’appellation “prime Macron”, par “prime d’enfumage”!
La stratégie consistant à multiplier les incidents dans l’hémicycle, chahuter les ministres, risque de trouver ses limites, dans l’opinion publique, mais aussi, l’espèrent-ils sans doute, dans la capacité de tolérance d’Emmanuel Macron. On peut imaginer que le président réélu ne rêvait pas d’un deuxième quinquennat de bataille de chiffonniers. Il ne pourra pas se représenter à l’issue des cinq ans, et donc pourrait assez vite se lasser d’une situation de conflit parlementaire permanent rendant toute réforme à peu près impossible. Et c’est sans doute une part du calcul fait par Jean-Luc Mélenchon: pousser le président à bout pour qu’il décide au plus tôt d’une dissolution de l’Assemblée qui renverrait tout le monde aux urnes, et permettrait -peut-être- enfin au patron de la France Insoumise de décrocher le poste de Premier Ministre convoité, voire de pousser Emmanuel Macron à la démission pour rejouer à son profit la présidentielle.
Si le calcul est celui-là, il n’est évidemment pas sans risque. D’abord, il y a des précédents. Celui de Jacques Chirac tentant d’utiliser la dissolution pour renforcer sa majorité et y gagnant au final cinq ans de cohabitation avec Lionel Jospin. Ou encore celui du Général de Gaulle utilisant la dissolution en 1968 en pleine crise économique et sociale, et décrochant quelques semaines plus tard une majorité absolue de députés. Ensuite il y a la question du délai. Pour que ce pari puisse être gagnant, il faudra qu’au moment d’une éventuelle dissolution du parlement, l’élan dont a profité la Nupes en juin dernier subsiste et soit encore renforcé, pour que Jean-Luc Mélenchon ait une chance de s’imposer comme premier-ministre. Si la dissolution n’intervient pas rapidement, les électeurs pourraient au contraire être lassés des provocations permanentes de la Nupes et de son refus de jouer un rôle plus constructif au parlement.
On note déjà, dans un sondage BVA réalisé ces derniers jours que 71% des Français souhaitent que l’opposition joue le jeu du compromis et négocie avec la majorité présidentielle. Pire, il n’y a que dans les rangs des sympathisants de la France Insoumise que l’on trouve une majorité d’adeptes du refus du compromis (55%), 80% des électeurs proches d’EELV ou le Parti socialiste seraient plutôt adeptes de la négociation. Evidemment c’est ici qu’Emmanuel Macron et son gouvernement vont tenter d’enfoncer un coin. En acceptant certains compromis demandés par les partis d’opposition les moins radicaux. C’est ainsi que l’amendement proposé par les écologistes dans le cadre du projet de loi sur le pouvoir d’achat, pour une utilisation d’huile de friture usagée comme carburant pour les voitures, carburant supposé plus écologique et économique, a été soutenu par le gouvernement. De même Les Républicains ont obtenu dans le cadre du budget rectificatif de 2022, que les jours de RTT non pris pendant l’année puissent être payés aux salariés qui le souhaitent. Un symbole fort: il s’agissait d’une promesse de campagne présidentielle de… Valérie Pécresse. De façon plus marginale, un amendement communiste proposant que le Comité d’entreprise soit consulté préalablement et pas seulement informé de l’attribution de la prime Macron défiscalisée, a été adopté.
Bien sûr la première condition pour que le pari de Jean-Luc Mélenchon soit gagnant, c’et que l’alliance qu’il a construite, voire imposée, au PS aux écologistes et aux communistes, résiste elle-même à l’épreuve du temps. Ce n’est pas encore gagné non plus. Déjà lors du vote sur le projet de loi sur le pouvoir d’achat, 17 députés socialistes se sont abstenus, alors que la majorité des communistes, écologistes et insoumis votaient contre. Et les causes de différends entre les différents partis formant la Nupes, pourraient se multiplier si la France Insoumise continue à tenter d’imposer sa ligne idéologique à ses partenaires. A cet égard, le projet de résolution présenté par des responsables insoumis et communistes concernant l’Etat d’Israël et proposant que la France condamne “l’institutionnalisation par Israël d’un régime d’Apartheid à l’égard du peuple Palestinien” et désignant le peuple israélien de religion juive comme un “groupe racial” a jeté un froid chez les élus socialistes. La poursuite d’une stratégie de conflictualisation, et de provocation, à outrance, pourrait donc sonner le glas des ambitions du parti de Jean-Luc Mélenchon. Mais plonger la vie parlementaire dans un chaos ingérable.
A qui pourrait profiter ce chaos? On l’a vu De Gaulle avait su profiter de la “chienlit” pour se tailler une assemblée sur mesure. Il n’est pas du tout certain qu’Emmanuel Macron, même si sa popularité progresse de 5 points en juin (sondage BVA) puisse profiter de la crise. Marine Le Pen est en embuscade et pour l’instant joue sa partition sans faute. Principal vainqueur du scrutin législatif de cette année avec ses 88 députés, contre 8 en 2017, le Rassemblement National évite de se mêler à la cohue législative alimentée par la Nupes. Apportant son vote aux textes jugés utiles, tout en critiquant leur insuffisance, il renforce son image de respectabilité et de sérieux, pour préparer la suite. Et de fait on ne peut exclure que par lassitude les électeurs finissent par se persuader que leur seule chance d’échapper au chaos serait de tenter la solution d’extrême droite. La dégradation brutale de la situation politique en Italie, avec la démission de Mario Draghi, vient de nous rappeler que l’extrême-droite populiste que l’on croyait écartée du pouvoir, reste aux marches du palais.