L’indépendance de l’audiovisuel public est-elle menacée? Oui, si l’on en croit les stars des chaines publiques qui se relaient pour demander le maintien de la redevance, comme garantie de leur indépendance. Pas du tout, répond le gouvernement qui promet de pérenniser le financement en prenant sur le produit de la TVA.
C’est évidemment un faux débat! Ce n’est pas la redevance qui fait l’indépendance de l’audio-visuel public -la redevance existait déjà du temps de l’ORTF qui ne brillait pas par son impertinence- pas plus que le financement par la TVA ne la garantira. Ce qui fait l’indépendance d’un média, c’est d’abord le professionnalisme, et l’exigence déontologique de ses journalistes, la qualité et l’exigence de sa gouvernance, et accessoirement, la pertinence du contrôle exercé par l’éventuelle autorité indépendante de tutelle.
Que le budget de France-Télévision, ou de Radio-France, émane de la redevance versée par les détenteurs de téléviseurs, ou soit prélevé directement sur la TVA ou le budget de l’Etat, ne change rien, si les sommes sont votées et garanties sur la durée par la représentation parlementaire, et si leur utilisation est contrôlée par une autorité indépendante. L’argument de l’indépendance n’est donc pas vraiment recevable et reflète sans doute plus les propres angoisses de la profession quant à l’évolution de l’exercice du métier. La prise en main par Vincent Bolloré de la destinée de la galaxie Canal plus, et la dérive partisane d’extrême droite qui en suivit pour la chaîne en continu Cnews, ont évidemment mis en avant de façon brutales les risques de la privatisation des sociétés d’information. L’appartenance à la sphère publique de certains médias, leur contrôle par une autorité de tutelle indépendante, sont évidemment dans ce cadre des garanties démocratiques, et l’on ne peut reprocher aux professionnels qui y travaillent d’appréhender les conséquences d’une éventuelle privatisation. Mais on en est pas là! Substituer l’impôt à la redevance n’est pas privatiser.
Reste le bruit de fond qui entoure cette affaire, au terme d’une campagne électorale où le service public a parfois donné l’impression de faire la part belle à l’opposition. Impression justifiée à certains moments si l’on en croit les relevés effectués par l’autorité de tutelle. Par exemple entre le 2 et le 27 mai, l’Arcom décompte sur France Inter un temps de parole de 1h et 3 minutes pour la France Insoumise, contre 25 minutes pour Renaissance, le parti présidentiel. S’ajoutent pour la gauche sur la période 42 minutes pour le Parti socialiste, 23 minutes pour le Parti communiste et 19 pour les écologistes. Effectivement le déséquilibre est patent, même lorsqu’on ajoute une minute de prise de parole pour le parti Horizons d’Edouard Philippe. Mais on fera valoir à France Inter comme à France 2, où l’on retrouve des résultats comparables, que l’équilibre a été rétabli par la suite. On ne peut donc pas dire que sur l’ensemble de la période électorale les médias publics aient outrageusement supporté un camp politique ou l’autre.
C’est en fait plus du côté du professionnalisme que les médias publics, autant que les privés d’ailleurs, méritent un examen critique. Avec la multiplication des télévisions d’informations en continu et l’explosion des réseaux sociaux, les journalistes ont été peu à peu aspirés par une logique de “buzz”, de la recherche de trafic, qui n’a plus grand chose à voir avec l’explication et la confrontation des faits. Pire, dans la hiérarchie de l’information, les faits se sont peu à peu effacés derrière le ressenti, et l’explication et l’analyse derrière l’opinion. Le micro-trottoir, consistant à livrer brut de décoffrage le commentaire sur l’actualité d’un quidam ne disposant d’aucune expertise, s’est imposé comme genre journalistique majeur. Les émissions d’opinion rassemblant des “influenceurs” dont la principale compétence est l’aptitude à émettre des jugements définitifs sur tout et n’importe quoi, se sont multipliées. “Informés” ici, “Grandes gueules” là, toujours capables de faire le buzz sur internet en délivrant les jugements les plus outranciers sur tous les sujets.
Evidemment la “neutralité”, c’est à dire le non parti-pris, du service public en a pris un coup. Vous ne pouvez pas faire des audiences record avec des propos simplement mesurés, nuancés, relativisés, voire contextualisés. La dictature de la “punchline”, c’est à dire du jugement choc, a peu à peu emporté les réflexes professionnels -vérification de l’information, respect du caractère contradictoire, séparation des faits et du commentaire…- la course de vitesse permanente a gommé les exigences de rigueur des rédactions. Et tout cela va bien au delà des campagnes électorales?
Le traitement par les chaines de télévision, publiques et privées, de la crise du Covid a constitué la première démonstration en grandeur réelle de la dégringolade du professionnalisme du journalisme audio-visuel. La multiplication des pseudo-experts médicaux sur les plateaux télés, venant donner leur opinion sur la maladie et les mesures à mettre en œuvre, sans pouvoir justifier de véritable qualification, voire au nom d’un engagement politique non divulgué au public, la généralisation des micro-trottoirs, appelant chaque quidam à commenter et critiquer les mesures de santé publique, la reprise régulière de fake-news, sans aucune vérification, à l’abri d’un micro sensé relativiser le propos, ou sous la caution d’une expertise imaginaire, auront pourri le débat et conduit à la crise de la vaccination que nous avons connue. Sans que les chaînes en tirent la moindre leçon, puisque le défilé des yakafokon s’est poursuivi, sitôt après, avec la crise ukrainienne.
Alors bien sûr, il reste sur les chaînes publiques, et privées, des journalistes qui tentent de faire correctement leur travail. Il y a de vrais professionnels, qui préfèrent enquêter sur le terrain, que donner leur opinion sur les plateaux, on les a vus au travail par exemple en Ukraine. Des journalistes pour qui, comme on le revendiquait jadis, les faits passent avant les commentaires. Qui ne confondent pas investigation, et enquête à charge , analyse et réquisitoire, indépendance et opposition systématique… Que l’audiovisuel public soit financé par la redevance audiovisuelle ou un prélèvement sur la TVA, devrait faire peu de différence pour eux.-
Merci une fois de plus pour nous éclairer avec vos billets toujours aussi constructifs, parce qu’ils ratissent les faits de gauche à droite (extrêmes inclus). Avec vous, la transmission de l’information n’est jamais partielle ou partiale.
Surtout en plein été où l’on est plutot habitués au service minimum de l’information, cela fait du bien!
Pas de doute, vous faites partie de la famille de journalistes pour lesquels les faits et la vérité passent avant la recherche du buzz, de ceux “qui ne confondent pas investigation, et enquête à charge , analyse et réquisitoire, indépendance et opposition systématique”.
Merci !
Bonjour,
Voici un article qui donne une autre vision des choses.
https://www.acrimed.org/Contre-la-suppression-de-la-redevance-Pour-la
Comme d’habitude de nombreuse décisions sont prises sans préciser l’objectif à atteindre ni la suite.
Quel est la situation des médias en France ?
Que voulons nous ? et quel est l’objectif ?
Quel est le projet final ?
Quels sont les différents projets proposés ?
Cordialement
R V